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benjamin constant

sa voiture, et ai fait le chemin de Nyon ici (à Lausanne) avec elle, ai soupe, déjeuné, dîné, soupé, puis encore déjeuné avec elle, de sorte que je l’ai bien vue et surtout entendue. Il me semble que vous la jugez mi peu sévèrement Je la crois très active, très imprudente, très parlante, mais bonne, confiante, et se livrant de bonne foi. Une preuve qu’elle n’est pas uniquement une machine parlante, c’est le vif intérêt qu’elle prend à ceux qu’elle a connus et qui souffrent. Elle vient de réussir, après trois tentatives coûteuses et inutiles, à sauver des prisons et à faire sortir de France une femme, son ennemie, pendant qu’elle était à Paris, et qui avait pris à tâche de faire éclater sa haine pour elle de toutes les manières. C’est là plus que du parlage. Je crois que son activité est un besoin autant et plus qu’un mérite ; mais elle l’emploie à faire du bien... » — Ce qu’il y a d’injuste, de restrictif dans ce premier récit se corrige généreusement, trois semaines après, dans la lettre suivante, qui nous rend son impression tout entière, et qui mérite d’être connue, parce qu’elle a en elle un accent d’élévation et de franchise auquel tout ce qui précède nous a peu accoutumés, parce qu’aussi elle représente avec magnificence et précision, en face d’une personne incrédule, ce que presque tous ceux qui ont approché madame de Staël ont éprouvé. Qu’on ne demande pas au témoin qui parle d’elle d’être tout-à-fait impartial, car on n’était plus impartial dès qu’on l’avait beaucoup vue et entendue.


Lausanne, ce 21 octobre 1794

« … Il m’est impossible d’être aussi complaisant pour vous sur le chapitre de madame de Staël que sur celui de M. Delaroche. Je ne puis trouver malaisé de lui jeter, comme vous dites, quelques éloges. Au contraire, depuis que je la connais mieux, je trouve une grande difficulté à