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et madame de charrière.

n’aime pas les sibylles. Il tant parler clair ou se taire ; d’autant plus que j’ai à peine le temps de vous répondre et encore moins celui de vous deviner. Je n’ai rien à atténuer… La conduite de mon père, dans toutes ses parties,. a été légale, excepté lorsque la force ouverte l’a écarté d’ici. Dans plusieurs points, elle a été infiniment méritoire. Si vous me disiez ce qu’on vous a raconté, je pourrais vous éclairer ; mais, avec votre affectation de brièveté que vous croyez si majestueuse, je ne puis rien vous dire. Sur ce, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde, etc. Ce 14 septembre 1789. » La réponse ou le projet de réponse qu’elle lui adressait est sous nos yeux, sur le papier même et au revers de la lettre d’injure : « Faites-moi la grâce de me dire si vous êtes bien ingrat et bien mauvais ou si vous n’êtes qu’un peu fou. Il se pourrait même que ce ne fût qu’une folie passagère, et en ce cas-là je la compterais pour peu de chose… » Suivent plus de détails qu’on n’en pourrait désirer. Elle garda cette réponse et ne l’envoya pas. Au jour de l’an 1790, Benjamin Constant lui récrivit, elle fut transportée de plaisir ; la correspondance se rengagea dans les mois suivants[1] ; il était marié, il était occupé à suivre ce procès pour son père, ses affaires se dérangeaient ; il répondait, après avoir reçu d’elle quelque lettre de clémence et de tristesse : « Votre dernière lettre m’a fait grand plaisir, un plaisir mêlé d’amertume comme de raison, un plaisir qui fait dire à chaque mot : C’est bien dommage. Effectivement c’est bien dommage que le sort nous ait si entièrement et pour jamais séparés. Il y a entre nous un point de rapprochement qui aurait surmonté toutes les différences de goûts, de caprices, d’engouements, qui auraient pu s’opposer à notre bonne intelligence ; nous nous serions sou-

  1. Nous donnons ci-après, dans ce volume, quelques lettres de madame de Charrière à Benjamin Constant, dont la première se rapporte à ce moment de reprise.