Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais ce n’est pas de toutes mes forces, c’est languissamment. »


Au sein de cette Béotie bruswickoise, comme il l’appelle, Benjamin Constant ne tarde pourtant pas à faire quelque trouvaille de personnes assez distinguées. Il y rencontre, il y apprécie M. de Mauvillon, l’ami et le collaborateur de Mirabeau, « ou, pour mieux dire, le seul auteur de l’ouvrage sur di Monarchie prussienne ; » madame de Mauvillon elle-même est une femme de mérite et spirituelle. Mais bientôt il se dissipe ailleurs, il se répand ; il s’applique à justifier les reproches de madame de Charrière. Il a beau lui écrire encore de profondes et désespérées tristesses, comme celle-ci : « Je me suis livré à une paresse mélancolique qui m’empêche de faire des visites, et, quand j’en fais, de parler[1]. En tout, je suis (je ne sais si vous ne croirez pas que je vous trompe pour mes menus plaisirs) très malheureux. Mais enfin la vie se passe, et mourir après s’être amusé ou s’être ennuyé dix ou vingt ans, c’est la même chose. Il y a déjà 44 jours que je suis ici, et 57 que je ne vous ai pas vue. Quand il y en aura 114, ce sera toujours le double de gagné, et le tiers d’une année will have been crept through[2]. Que

    1st of janv 1793 : which promise if I break, I confess myself a rascal, a liar, and a villain, and will lamely submit to be called so by every man that meets me.

    H. B. de Constant.
    Brunswick, the l9th of march 1788. »

  1. Il est très certain que, dans cette première partie de sa vie, Benjamin Constant était volontiers taciturne ; ceux qui l’avaient vu à Lausanne et même à Colombier, et qui le revirent à Paris dans l’été de 1796, ne le trouvaient pas le même homme, tant il leur parut brillant de conversation dans le salon de madame de Staël, tenant tête avec entrain et saillie aux personnages divers et de tous bords qui s’y pressaient. On peut dire que jusque là l’air et le stimulant lui manquaient. « On me demandait hier pourquoi je ne parlais pas ; c’est, ai-je répondu, que rien ne m’ennuie tant que ce qu’on me dit, excepté ce que je réponds. »
  2. Cette habitude qu’a Benjamin Constant d’emprunter à l’anglais