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lèvres que je désire (et que je le dis) de me retrouver à Colombier le 2 de janvier.

H. B. »


« Je me porte bien, madame, et je me trouve bien bête de ne pas vous aller voir ; mais je résiste comme vous l’ordonnez. Mon Esculape Leschot est tout plein d’attention pour moi. Cependant je puis vous assurer que, si ma tête n’est pas blanche, elle sera bientôt chauve.

« J’attends qu’on m’apporte de la cire et je continue :

« Je lis Rétif de La Bretonne, qui enseigne aux femmes à prévenir les libertés qu’elles pourraient permettre, et qui, pour les empêcher de tomber dans l’indécence, entre dans des détails très intéressants[1], et décrit tous les mouvements à adopter ou à rejeter, Toutes ces leçons sont supposées débitées par une femme très comme il faut, dans un Lycée des mœurs ! Et voilà ce qu’on appelle du génie, et on dit que Voltaire n’avait que de l’esprit et d’Alembert et Fontenelle du jargon. Grand bien leur fasse !

« Quant à moi, et malgré l’enthousiasme de votre Mercure indigène pour Rétif, je serai toujours rétif à l’admirer. Ma délicate sagesse n’aime pas cette indécence ex professo, et je me dis : « Voilà un fou bien dégoûtant qu’on devrait enfermer avec les fous de Bicêtre. » Et quand on me dira : « L’original Rétif de La Bretonne, le bouillant Rétif, etc., » — je penserai : c’est un siècle bien malheureux que celui où on prend la saleté pour du génie, la crapule pour de l’originalité, et des excréments pour des fleurs ! Quelle diatribe, bon Dieu !

« Trêve à Rétif ! Votre nuit, madame, m’a fait bien de la peine. La mienne a été bonne, et tout va bien.

« Imaginez, madame, que je fais aussi des feuilles

  1. On aimerait mieux lire : très indécents.