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gner avec elle son protecteur, soulager ses peines, partager ses veilles ; la faire vivre à force de caresses et de soins, ou au moins, pour prix d’une passion si longue et si tendre, lui donner le plaisir de me voir en mourant, de voir qu’elle n’avait pas aimé un automate insensible, et que, si je n’avais pas su l’aimer comme elle le méritait, je saurais la pleurer ? Mais c’est trop tard, mes regrets sont aussi venus trop tard, et elle les ignore. Elles les a ignorés, faut-il dire : il faut bien avoir enfin le courage de la croire morte. S’il y avait eu quelque retour d’espérance, elle aurait voulu adoucir l’impression de sa lettre ; car elle, elle savait aimer. Me voici donc seul sur la terre. Ce qui m’aimait n’est plus. J’ai été sans courage pour prévenir cette perte ; je suis sans force pour la supporter.


VINGT-QUATRIÈME LETTRE


Madame,

Ayant appris que vous comptez partir demain, je voulais avoir l’honneur de vous aller voir aujourd’hui pour vous souhaiter, ainsi qu’à Mademoiselle Cécile, un heureux voyage, et vous dire que le chagrin de vous voir partir n’est adouci que par la ferme espérance que j’ai de vous revoir l’une et l’autre ; mais je ne puis quitter mon parent : l’impression que lui a faite une lettre arrivée ce matin a été si vive, que M. Tissot m’a absolument défendu de le quitter, ainsi qu’à son domestique. Celui qui a apporté la lettre ne le quitte pas non plus, mais il est presque aussi affligé que lui, et je crois qu’il se tuerait lui-même plutôt qu’il ne l’empêcherait de se tuer. Je vous supplie, madame, de me conserver des bontés dont j’ai senti le prix plus encore peut-être que vous ne