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madame, et vous faites très bien de venir chez vous. Tâchez d’y rétablir votre santé, et soyez-y maîtresse absolue. J’ai donné à cet égard les ordres les plus positifs, quoiqu’il n’en fût pas besoin, car mes domestiques sont les vôtres. Je vous ai trop aimée, et je vous estime trop pour ne pas me flatter de pouvoir vivre encore heureux avec vous ; mais dans ce moment l’impression du chagrin que j’ai en est trop vive encore, et malgré moi je vous la laisserais trop voir. Je vais faire, pour tâcher de la perdre entièrement, un voyage de quelques mois dont j’espère d’autant plus de succès que je ne suis jamais sorti de mon pays. Vous ne pouvez m’écrire, ne sachant où m’adresser vos lettres, mais je vous écrirai, et l’on verra que nous ne sommes pas brouillés. Adieu, madame ; c’est bien sincèrement que je vous souhaite une meilleure santé, et que je suis fâché d’avoir témoigné tant de chagrin d’une chose involontaire, et que vous avez fait tant d’efforts pour réparer ; mais mon chagrin alors était trop vif. Témoignez bien de l’amitié à mistriss***. Elle l’a bien mérité, et je lui rends à présent justice. Je ne pouvais croire qu’il n’y eût point eu de correspondance secrète, aucune relation entre vous et l’heureux homme auquel votre cœur s’était donné ; elle avait beau dire que votre surprise en était la preuve, je n’écoutais rien. »

le départ de M. M*** ayant fait plus d’impression que ses ordres, Caliste fut d’abord assez mal reçue ; mais son protecteur le prit sur un ton si haut, et elle montra tant de douceur, elle fut si bonne, si charitable, si juste, si noble, que bientôt tout fut à ses pieds, les voisins comme les gens de la maison, et, ce qui n’est pas ordinaire chez des amis de campagne, ils furent aussi discrets qu’empressés ; de sorte qu’elle prenait son lait avec tous les ménagements et la tranquillité qui pouvaient dépendre des autres. Elle m’écrivit qu’il lui faisait un peu de bien,