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lui cria : Au nom du ciel, madame, venez ! voici la grêle ! Vous avez été si malade ! Et, la prenant sous le bras dès qu’il put l’apercevoir, il l’entraîna vers le fiacre, l’y fit entrer et ferma la portière. Je restai seul dans l’obscurité ; je ne l’ai jamais revue. Le lendemain, de grand matin, je repartis pour la campagne. Mon père, étonné de mon retour et du trouble où il me voyait, me fit des questions avec amitié. Il s’était acquis des droits à ma confiance, je lui contai tout. — A votre place, dit-il, mais ceci n’est pas parler en père, à votre place je ne sais ce que je ferais. Reprenons, a-t-elle dit, nos véritables liens. Aurait-elle raison ? Mais elle ne voudrait pas elle-même… Ce n’a été qu’un moment d’égarement dont elle est bientôt revenue… Je me promenais à grands pas dans la galerie où nous étions. Mon père, penché sur une table, avait sa tête appuyée sur ses deux mains ; du monde que nous entendîmes mit fin à cette étrange situation.

Milady revenait d’une partie de chasse ; elle craignit apparemment quelque chose de fâcheux de mon prompt retour, car elle changea de couleur en me voyant ; mais je passai à côté d’elle et de ses amis sans leur rien dire. Je n’eus que le temps de m’habiller avant le dîner, et je reparus à table avec mon air accoutumé. Tout ce que je vis m’annonça que milady se trouvait heureuse en mon absence, et que les retours inattendus de son mari pouvaient ne lui point convenir du tout. Mon père en fut si frappé, qu’au sortir de table il me dit, en me serrant la main avec autant d’amertume que de compassion : pourquoi faut-il que je vous aie ôté à Caliste ! Mais, vous, pourquoi ne me l’avez-vous pas fait connaître ? Qui pouvait savoir, qui pouvait croire qu’il y eût tant de différence entre une femme et une autre femme, et que celle-là vous aimerait avec une si véritable et si constante passion ? Me voyant entrer dans ma chambre, il m’y suivit, et nous