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dès que je me portais mieux, il fuyait sa maison, et quand, en y rentrant, il retrouvait celle qui peu auparavant la lui rendait délicieuse, je le voyais tressaillir. J’ai combattu pendant trois mois cette malheureuse disposition, et cela bien plus pour l’amour de lui que pour moi-même. Toujours seule, ou avec cette femme qui m’avait secourue, travaillant sans cesse pour lui ou pour sa maison, n’écrivant et ne recevant aucune lettre, mon chagrin, mon humiliation, car ses amis m’avaient tous abandonnée, me semblaient devoir le toucher ; mais il était aigri sans retour. Il ne lui échappa jamais un mot de reproche ; de sorte que je n’eus jamais l’occasion d’en dire un seul d’excuse ni de justification. Une fois ou deux je voulus parler, mais il me fut impossible de proférer une seule parole. à la fin, ayant reçu une lettre du général, qui me disait qu’il était malade, et qu’il me priait de le venir voir seule, ou avec M. M***, je la mis devant lui. — Vous pouvez aller, madame, me dit-il. Je partis dès le lendemain, et laissant Fanny, pour n’avoir pas l’air de déserter la maison ni d’en être bannie, je lui dis de laisser mes armoires et mes cassettes ouvertes et à portée de l’examen de tout le monde ; mais je ne crois pas qu’on ait daigné regarder rien, ni faire la moindre question sur mon compte. Voilà comme est revenue à Londres celle que milord a tant aimée, et qu’une fois vous aimiez ; et aujourd’hui je me revois ici plus malheureuse et plus délaissée que quand je vins jouer sur ce même théâtre, et que je n’appartenais à personne qu’à une mère qui me donna pour de l’argent.

Caliste ne pleura pas après avoir fini son récit ; elle semblait considérer sa destinée avec une sorte d’étonnement mêlé d’horreur plutôt qu’avec tristesse. Moi, je restai abîmé dans les plus noires réflexions. — Ne vous affligez pas, me dit-elle en souriant, je n’en vaux pas la peine. Je le savais bien, que la fin ne serait pas heureuse, et j’ai eu des moments si doux ! Le plaisir de vous retrouver ici