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sonne à Londres n’avait parlé jusqu’au milieu de l’été, devait être si loin de là, que je ne m’occupai pas un instant de cette pensée. On commence la pièce, il se trouve que c’est The fair penitent. Je fais une espèce de cri de surprise. La femme se retourne : c’était Caliste. Qu’on juge de notre étonnement, de notre émotion, de notre joie ! Car tout autre sentiment céda dans l’instant même à la joie de nous revoir. Je n’eus plus de torts, je n’eus plus de regrets, je n’eus plus de femme, elle n’eut plus de mari ; nous nous retrouvions, et, quand ce n’eût été que pour un quart d’heure, nous ne pouvions sentir que cela. Elle me parut un peu pâle et plus négligée, mais cependant plus belle que je ne l’avais jamais vue. — Quel sort, dit-elle, quel bonheur ! J’étais venue entendre cette même pièce, qui sur ce même théâtre décida de ma vie. C’est la première fois que je viens ici depuis ce jour-là. Je n’avais jamais eu le courage d’y revenir ; à présent d’autres regrets m’ont rendue insensible à cette espèce de honte. Je venais revoir mes commencements, et méditer sur ma vie ; et c’est vous que je retrouve ici, vous, le véritable, le seul intérêt de ma vie, l’objet constant de ma pensée, de mes souvenirs, de mes regrets, vous que je ne me flattais pas de jamais revoir. Je fus longtemps sans lui répondre. Nous fûmes longtemps à nous regarder, comme si chacun des deux eût voulu s’assurer que c’était bien l’autre. — Est-ce bien vous ? Lui dis-je enfin. Quoi ! C’est bien vous ! Je venais ici sans intention, par désœuvrement ; je me serais cru heureux d’apprendre seulement de vos nouvelles après mille recherches que je me proposais de faire, et je vous trouve vous-même, et seule, et nous aurons encore au moins pendant quelques heures le plaisir que nous avions autrefois à toute heure et tous les jours ! Alors je la priai de trouver bon que nous fissions tous deux l’histoire du temps qui s’était passé depuis notre séparation, pour que nous pussions ensuite nous mieux