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M. M***. Ils me dirent qu’il était arrivé à huit heures du soir, et qu’il avait pris à dix le chemin de Londres. à l’instant, ma tête s’embarrassa, je voulus m’ôter la vie, je méconnus les gens et les objets, je me persuadai que Caliste était morte ; une forte saignée suffit à peine pour me faire revenir à moi, et je me retrouvai dans les bras de mon père, qui joignit aux plus tendres soins pour ma santé celui de cacher le plus qu’il fut possible l’état où j’avais été. Funeste précaution ! Si on l’avait su, il aurait effrayé peut-être, et personne n’eût voulu s’associer à mon sort.

Le lendemain on m’apporta une lettre. Mon père, qui ne me quittait pas, me pria de la lui laisser ouvrir. — Que je voie une fois, me dit-il, quoiqu’il soit trop tard, ce qu’était cette femme. — Lisez, lui dis-je, vous ne verrez certainement rien qui ne lui fasse honneur.

« Il est bien sûr à présent que vous ne m’avez pas suivie. Il n’y a que trois heures que j’espérais encore. à présent je me trouve heureuse de penser qu’il n’est plus possible que vous arriviez, car il ne pourrait en résulter que les choses les plus funestes ; mais je pourrais recevoir une lettre. Il y a des instants où je m’en flatte encore. L’habitude était si grande, et il est pourtant impossible que vous me haïssiez, ou que je sois pour vous comme une autre. J’ai encore une heure de liberté. Quoique tout soit prêt, je puis encore me dédire ; mais, si je n’apprends rien de vous, je ne me dédirai pas. Vous ne vouliez plus de moi, votre situation auprès de moi était trop uniforme ; il y a longtemps que vous en êtes fatigué. J’ai fait une dernière tentative. J’avais presque cru que vous me retiendriez ou que vous me suivriez. Je ne me ferai pas honneur des autres motifs qui ont pu entrer dans ma résolution, ils sont trop confus. C’est pourtant mon intention de chercher mon repos et le bonheur d’autrui dans mon nouvel état, et