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rival, oui, c’était mon rival, à se retirer aussi bien que moi. Pour la première fois les heures m’avaient paru bien longues chez Caliste. Le nom de cet homme ne m’était pas inconnu : c’était un nom que personne de ceux qui l’avaient porté n’avait rendu brillant ; mais sa famille était ancienne et considérée depuis longtemps dans une province du nord de l’Angleterre. Connaissant l’oncle de lord L***, et ayant vu Caliste avec lui à l’opéra, il avait souhaité de lui être présenté, et avait demandé la permission de lui rendre visite. Il fut chez elle deux ou trois fois, et crut voir en réalité les muses et les grâces qu’il n’avait vues que dans ses livres classiques. Après sa troisième visite, il vint demander au général des informations sur Caliste, sa fortune et sa famille. On lui répondit avec toute la vérité possible. — Vous êtes un honnête homme, monsieur, dit alors l’admirateur de Caliste ; me conseillez-vous de l’épouser ? — Sans doute, lui fut-il répondu, si vous pouvez l’obtenir. Je donnerais le même conseil à mon fils, au fils de mon meilleur ami. Il y a un imbécile qui l’aime depuis longtemps, et qui n’ose l’épouser, parce que son père, qui n’ose la voir de peur de se laisser gagner, ne veut pas y consentir. Ils s’en repentiront toute leur vie ; mais dépêchez-vous, car ils pourraient changer.

Voilà l’homme que j’avais trouvé chez Caliste. Le lendemain je fus chez elle de très bonne heure, et je lui exprimai mon déplaisir et mon impatience de la veille. — Quoi ! dit-elle, cela vous fait quelque peine ? Autrefois je voyais bien que vous ne pouviez souffrir de trouver qui que ce soit avec moi, pas même un artisan ni une femme ; mais depuis quelque temps vous ne cessez de mener avec vous le petit chevalier, j’ai cru que c’était exprès pour que nous ne fussions pas seuls ensemble. — Mais, dis-je, c’est un enfant. — Il voit et entend comme un autre, dit-elle. — Et si je ne l’amène plus, repris-je, cesserez-vous de recevoir