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trèrent chez moi. — Il faut à présent venir de bien bonne heure pour avoir l’espérance de vous trouver, dit Milord. Il y a eu, avant ce changement, six semaines bien plus agréables que n’ont été ces derniers huit ou dix jours. Me serait-il permis de vous demander, madame, qui, de vous ou de Mademoiselle Cécile, a souhaité qu’on se mît à sortir tous les jours ? — C’est ma fille, ai-je répondu. S’ennuyait-elle ? dit Milord. — Je ne le crois pas, ai-je dit. — Mais pourquoi donc, a-t-il repris, quitter une façon de vivre si commode et si agréable, pour en prendre une pénible et insipide ? Il me semble… — Il me semble à moi, a interrompu son parent, que Mademoiselle Cécile peut en avoir eu trois raisons, c’est-à-dire une raison entre trois, qui chacune, lui feraient honneur. — Et quelles trois raisons ? a dit le jeune homme. — D’abord elle peut avoir craint qu’on ne trouvât à redire à la façon de vivre que nous regrettons, et que des femmes, fâchées de ne plus voir ces deux dames parmi elles, et leur enviant les empressements de tous les hommes qu’elles veulent bien souffrir, ne fissent quelque remarque injuste et maligne. Or, une femme, et encore plus une jeune fille, ne peut prévenir avec trop de soin les mauvais propos et la disposition qui les fait tenir. — Et votre seconde raison ?… voyons, dit Milord, si je la trouverai meilleure que la première. — Mademoiselle Cécile peut avoir inspiré à quelqu’un de ceux qui venaient ici un sentiment auquel elle n’a pas cru qu’il lui convînt de répondre, et que, par conséquent, elle n’a pas voulu encourager. — Et la troisième ? — Il n’est pas impossible qu’elle ne se soit senti elle-même un commencement de préférence auquel elle n’a pas voulu se livrer. — Les hommes vous remercieront de la première et de la dernière conjecture, a dit Milord. C’est dommage qu’elles soient si gratuites, et que nous ayons si peu de raisons de croire que nous attirions de l’envie sur ces dames, ou que nous donnions de l’amour. — Mais, Milord, a dit en souriant son parent, puisque vous voulez qu’on soit si modeste pour