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Tous trois alors entourèrent le fourmilier, dont Bénito avait traîné le cadavre loin du nid de fourmis. Sulpice triomphant était néanmoins fort embarrassé de sa victoire, car l’animal était énorme, fort lourd et l’on se trouvait loin du camp. Impossible de l’emporter ; que faire ? Le plus simple était de le dépouiller ; on aurait au moins la peau comme trophée.

La besogne n’étant point des plus délicates, Bénito, qui avait l’habitude de dépecer les bœufs, se mit à l’ouvrage. « Eh bien, voilà un curieux animal, disait François en examinant le tamanoir, et l’on ne se douterait jamais à le voir qu’il soit aussi dangereux ! Et quelle drôle de bouche ! — Il est ce qu’il faut qu’il soit pour la vie qu’il mène, lui dit Sulpice ; inattaquable et inaccessible aux morsures des fourmis dont il se repaît ; il est de l’ordre des Édentés, et puis des dents ne lui serviraient à rien. Le nom donné à cet ordre n’est du reste qu’une anomalie, car, en dehors des fourmiliers et des pangolins, tous ont des dents, et quelques-uns en plus grand nombre que les autres espèces. »

Cependant l’ouvrage avançait, Bénito achevait de dépouiller la tête ; restaient le museau et la queue ; le museau surtout inquiétait l’Indien ; Sulpice prit sa place, car il ne voulait point gâter le magnifique panache de la queue ni la ténuité délicate du museau. Quelques instants plus tard, nos amis se remettaient en route, Bénito, la peau roulée du tamanoir sur ses épaules, abandonnant aux fourmis le cadavre de leur tyran, qu’elles entouraient déjà de toutes parts. Mais l’heure du déjeuner avait depuis longtemps sonné ; on alla s’asseoir à l’ombre d’un figuier dont les racines saillantes et monstrueuses pouvaient au besoin servir de table ; Bénito tira d’un sac en fil d’agavé, qu’il portait sur le dos, des tortillas fraîches, des bandes de tasajo et une bouteille de vin. Les trois amis firent honneur au repas, que d’Artagnan, malgré sa blessure, partagea d’un appétit féroce ; puis on songea à se remettre en route. Sulpice consulta sa boussole et l’on se dirigea vers le sud-ouest pour rejoindre le Yalchilan. On avançait lentement, Bénito, comme d’habitude, ouvrant la route avec son machété. La forêt cependant, moins touffue, offrait un passage rela