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Car souvent, pour avoir un seul arbre il fallait en abattre trois ; là encore les Indiens étaient passés maîtres. Quand une fois l’acajou dont on voulait provoquer la chute était à peu près coupé, mais restait debout, soutenu par des lianes qui venaient de l’arbre voisin, on passait à celui-ci, que l’on attaquait de la même façon, puis souvent à un troisième d’où partaient les lianes. Enfin, lorsque l’on entendait le bois gémir, que l’on voyait les lianes se tendre sous la pression des géants ébranlés, l’un des travailleurs donnait un dernier coup de hache, et les trois arbres à la fois s’écroulaient avec un bruit de tonnerre. Ce spectacle nouveau pour lui intéressa vivement François, qui passa son après-midi dans la forêt, épiant la chute retentissante des arbres et prenant, aidé de Sulpice et de Bénito, des vues instantanées des divers incidents de l’industrie forestière.

Le soir la famille se réunit comme la veille sous la véranda, où Sulpice avait étalé sur une table les produits de la chasse du matin. Les vanesses, paon de jour, petite et grande tortue aux grands yeux, aux couleurs vives, les vulcains aux ailes bleues bordées de velours noir, et d’immenses porte-queue le disputaient aux oiseaux-mouches et aux colibris pour l’éclat des couleurs. Il s’agissait de procéder à la préparation des petites bêtes, et ce n’était pas une mince besogne que de dépouiller ces oiseaux minuscules sans endommager leur plumage ; et quelle adresse, quelle sûreté de main pour vider cette petite cervelle, que l’on remplaçait par du coton arséniqué ! François voulut essayer : malgré l’aide de son maître, il ne put y réussir et, dépité, y renonça. « On ne jette pas ainsi le manche après la cognée, lui dit son père ; on ne s’improvise pas naturaliste, pas plus qu’on ne s’improvise menuisier ; te croirais-tu capable de faire un meuble parce que tu l’aurais vu faire ? Non, mon enfant, il faut pour chaque chose un long apprentissage, il faut apprendre, pratiquer, beaucoup travailler ; tu feras mieux demain.

— Demain, dit Sulpice ayant terminé sa besogne, demain, si vous le permettez, nous irons courir les aventures le long de la petite rivière.