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LA CRISE

suavis est Dominus… Quam dilecta tabernacula tua, Domine !  »

Dieu se plaît à combler de consolations ceux qui reviennent sincèrement à Lui : c’est un avant-goût des éternelles félicités. Le jeune homme ne peut plus quitter cette chapelle où il vient de goûter des joies inconnues jusqu’à ce jour. Il contemple le Tabernacle, il se voit par avance montant à l’Autel, revêtu des saints ornements que portait tout-à-l’heure le ministre de Jésus-Christ, sacrificateur identifié au Prêtre éternel. Est-il vraiment digne d’un honneur semblable ? Son cœur est-il devenu assez pur, dans l’espace de quelques jours, pour aspirer à ce rôle sublime ? Les affections humaines ne vont-elles pas le ressaisir, une fois passés ces instants de ferveur ? C’est le dernier jour de retraite, il va de nouveau se trouver face à face avec le monde. Comment se dégagera-t-il de liens encore puissants ? Dieu se cachera, peut-être, comme il arrive après les plus beaux jours. La solitude peut se faire sentir, plus triste que jamais.

Pourtant, ces dernières hésitations durent peu. Toutes les paroles du Père Francœur reviennent à la mémoire de Jean : le prêtre n’est pas un isolé, il aime sa grande famille ; ses tendresses antérieures sont embellies, et même immortalisées. Là-haut, dans les célestes splendeurs, il retrouvera tous les objets de son amour : son cœur sera enfin satisfait, car il ne sera pas abîmé impersonnellement dans l’Essence infinie, mais il reconnaîtra tous les cœurs qu’il chérissait ici-bas. L’heure viendra des étreintes sans fin, dans un monde renouvelé d’où la mort aura disparu, avec son triste cortège de deuils et de séparations. Seules, les âmes chrétiennes savent aimer, et les âmes sacerdotales aiment mieux que toutes les autres. « Seigneur, dit intérieurement le jeune homme, j’ai entendu votre voix, j’ai compris ma vocation, je serai votre prêtre ! »

La transformation était accomplie. Les dernières heures passées à la Villa St-Martin furent consacrées aux résolutions d’ordre pratique. Il s’agissait de décider si Jean irait étudier la philosophie à l’Assomption ou à Montréal. Un projet déjà ancien voulait qu’il entrât au Séminaire immédiatement après sa rhétorique, pour y prendre la soutane. Cette perspective eut l’approbation du Père Francœur : « Allez, mon fils, revêtez-vous du saint habit pour ne plus le quitter ; je bénis le lévite de demain, et je lui promets mon assistance. Nous nous retrouverons souvent, après ces mémorables rencontres. »

Sur ces paroles s’acheva la retraite qui avait décidé du sort d’une belle âme, réellement appelée au sacerdoce.


X


Comment se terminèrent ces vacances, il est presque superflu d’en faire le récit. Revenu dans sa famille, le collégien d’hier semblait à tous transfiguré. Sa sœur Thérèse, mieux que tout autre, se rendit compte des métamorphoses dues à la Grâce divine : l’ancienne ressemblance entre le frère et la sœur avait reparu ; dès les premiers jours, ils purent s’entretenir longuement, sans qu’aucune discordance ne vînt troubler cette sainte harmonie.

— Je vais m’occuper de ton trousseau de séminariste, mon Jean ; j’avais acheté une pièce de fine batiste pour ton surplis, mais elle restait ensevelie au fond de l’armoire, en attendant ta décision. Tu peux croire que je suis heureuse de me mettre à ce pieux travail ; plus tard, je broderai les linges d’autel qui seront à ton usage pour le Saint-Sacrifice ; il faut que je prépare au plus vite tous ces cadeaux que je te destine, car j’ignore pour combien de temps je me trouve à la maison paternelle ; dès que l’heure sonnera, je répondrai, moi aussi, à l’appel divin qui me presse.

— Notre famille va donc donner à l’Église un enfant prodigue et une enfant toujours fidèle. Je ne saurai sans doute jamais tout ce que je dois, Thérèse, à tes prières et à tes exemples !

— Ne parlons pas des exemples : je ne suis qu’une âme encore bien imparfaite ; mais j’ai prié, oui, beaucoup prié pour toi, surtout au cours de ces dernières semaines, et mes supplications ont été exaucées. Il ne reste plus maintenant qu’à informer ceux et celles qui sont particulièrement intéressés à tes projets : tes maîtres du Collège, qui ont tant fait pour toi ; la postulante Carmélite dont le désintéressement fut vraiment providentiel ; et enfin ta petite amie à qui tu dois de loyales explications ; cette dernière démarche comporte beaucoup de ménagements.

— Le bon Père Francœur a tout prévu pour notre chère Alice : il doit l’inviter à passer quelques jours à la Villa-Maria avec un certain nombre de jeunes filles ; là, elle comprendra mieux les desseins de Dieu sur elle.

— Excellente idée ! Tu vois, mon Jean, que toutes les difficultés s’aplanissent pour les