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LES DÉSIRS

Tels étaient les sentiments du directeur du Progrès quand on lui annonça la visite de Bernard Massénac. Le tribun avait vieilli. Il avait toujours l’air aussi négligé, mais il mettait une certaine coquetterie dans le choix de ses cravates et de l’étoffe de son complet. Il aborda Pierre, comme s’il l’avait vu la veille, avec une bonhommie qui dans les circonstances ne manquait pas de grandeur.

— Nous sommes du même bord, dit-il. Puis il ajouta : Vous nous poussez vous autres, les jeunes, mais c’est naturel.

Pierre, pris au dépourvu, ne savait que répondre.

— Je suis vieux, continua le tribun. Je ne pensais jamais voir le jour où je viendrais te demander une faveur. Mais ce jour-là est venu.

— Si je puis vous être utile… dit Pierre.

— Tu le peux, fiston, tu le peux. Je voudrais te demander de ne pas m’attaquer dans ta feuille. Tu comprends, je suis trop vieux pour apprendre de nouveaux tours. Les miens ne sont plus à la mode. Mais vous pouvez faire bien du mal à un homme avec vos phrases, vous autres…

Le jeune homme sentit son cœur fondre. Ber-