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ET LES JOURS

tez ça là » — et ne s’occupa plus de lui. Il était retourné à ses autres affaires convaincu d’avoir perdu son temps. Deux jours plus tard, le directeur lui téléphonait et lui demandait pourquoi il n’était pas à son poste. Il était journaliste.

« La salle de rédaction regorgeait des mêmes ivrognes, des mêmes illettrés, des mêmes rebuts des autres journaux que j’ai en ce moment devant moi, pense-t-il. Le même pochard pittoresque disparaissait régulièrement à la fin du mois et, quand la faim et le froid l’avaient dégrisé, il envoyait en avant-garde au directeur de l’information, un ange de l’égout, toujours le même, pour lui préparer les voies. Comme aujourd’hui, certains services étaient mis en coupe réglée par leurs titulaires, en particulier, un louche individu, sinistre personnage d’écumeur, qui retenait non seulement les pots-de-vin, mais même les pourboires. »

Des journalistes distingués émergeaient de cette fange. Le meilleur et le pire voisinaient, collaboraient, fraternisant dans cette atmosphère si profondément humaine, si admirablement sympathique à la déchéance comme à la douleur