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sentiment d’insuffisance l’avait empêché de voir dans la nature autre chose que des obstacles. À trois reprises, il avait dévié de sa conception première pour accueillir des préoccupations pessimistes. Deux fois, il avait repensé son plan sans réussir à échapper à la fatalité qui l’entraînait de ce côté. Le livre s’était écrit un peu contre lui-même, mais justement à cause de cela, il n’en était que plus vrai. Plus que les autres aussi, il était un poème. Il désespéra de faire comprendre ces subtilités à quelqu’un qui n’était pas du métier.

Il se hâta de donner raison à Guilloux. « Ta lettre m’a bouleversé. Elle rencontre à ce point mes propres préoccupations au sujet de mon œuvre que je me demandais justement ce matin : Qu’est-ce donc qui m’empêche d’écrire une œuvre majeure, de dépasser le monde des personnages falots et fuligineux qui m’a retenu jusqu’ici ? Je me rappelle une autre lettre que tu m’adressais naguère, un soir d’automne, au retour d’une de nos interminables promenades dans la montagne. Tu me demandais alors aussi de dépasser l’immédiat… Et bien, je suis tenté de suivre ton conseil, de faire confiance à ton amitié contre tout ce qui en moi se méfie « des appels à la grandeur de l’homme ».