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qu’il avait souhaité cette apathie, cette anarchie intérieure ? Son malheur ne résultait-il pas des obligations qu’il avait assumées sans y croire ?

Georges pénétra dans la salle de rédaction presque vide, où les « vedettes » de l’équipe n’étaient pas encore entrées. Il n’y avait en ce moment que du fretin : Mulet, qui avait été poussé sur la voie d’évitement à cause d’une maladie cardiaque ; Romains, à peu près inutile, mais qui continuait de porter beau — un œillet frais à la boutonnière — et d’impressionner les serveuses ; Brouillé, ancien carabin échoué aux dépêches et qui citait Voltaire et saint Augustin… On leur confiait la préparation des bulletins, la confection des bouche-trous, la surveillance des télétypes. Tous ces humbles sentaient qu’un drame se jouait au-dessus de leur tête et ils en attendaient, résignés, le dénouement.

Georges, debout devant son classeur, dépouillait ses dossiers, déchirant et jetant le papier pêle-mêle sur le parquet. Un moulage en creux de la figure austère de fondateur du journal, détaché du mur et placé sur la table au milieu des dossiers empoussiérés, grimaçait sinistrement.