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— Si tu savais l’admiration qu’il a pour toi !

Jean avait tendance, selon son père, à subir la domination de ce camarade plus âgé. Georges ne savait pas condescendre à l’intimité avec des inconnus. Il aurait voulu dire à son fils : « La complaisance ne vaut rien dans ce domaine des sentiments. Et je sacrifierais sans regret les plaisirs de l’amitié quand ils comportent un certain ravalement de l’âme ». Mais il ne trouvait pas le ton qui eut fait passer cette remontrance. Dans la politique, où s’imposent toutes sortes de promiscuités, Hautecroix ne s’était attaché qu’à quelques-uns. L’amitié des autres eut été acquise au prix de sa dignité. Il n’aimait pas qu’on se crut le droit de lui confier n’importe quoi. Et à ses collaborateurs du journal, il inspirait peut-être plus d’estime que d’affection. Mais il ne pouvait faire partager aux autres sa sévérité. Et d’autre part, il n’avait rencontré Mayron qu’une seule fois.

Jeanne le sentit malheureux.

— Je ne sais pas pourquoi je t’aime tant, dit-elle en lui prenant le bras. Es-tu heureux ? Et sans attendre sa réponse, elle continua : Je manque de coquetterie ; je ne sais même pas ce qui est à la mode et ne m’en soucie pas. Je