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le chêne : c’est le chêne qui, pour nous, fait l’intérêt et le prix du gland, de même que, pour l’amateur, l’arbre, c’est Ruysdaël et pas du tout Linné.

Chez tous ces précurseurs, nous trouvons beaucoup d’enfantillages, contre lesquels un Beethoven réagit tout le premier, dans sa Pastorale, en ramenant à leurs éléments expressifs les plus larges (malgré la persistance du rossignol, de la caille, du coucou et de l’orage), les détails multipliés par Knecht dans le Portrait musical dans la nature[1]. C’est qu’à l’opposé de ces recherches toutes matérielles, on sent dans la musique classique de la dernière période une poussée encore hésitante, momentanée, obscure, vers une expression nouvelle. Rappelons entre autres chez Beethoven, comme Liszt le fera plus tard, les sonates « pathétique » et « appassionata », celle des « Adieux », de l’ « Absence » et du « Retour », les symphonies « héroïque » et « pastorale », la « Malinconia » du sixième quatuor et, dans le quinzième, le cantique d’actions de grâces du convalescent à la divinité. Dans beaucoup d’autres œuvres, on devine une idée sous-jacente qui les a inspirées, mais qui, faute d’un mot de passe, restent énigmatiques[2]. À ce besoin d’expression, qui est le levain du lyrisme, répond, notamment dans les dernières œuvres de Beethoven, une tentative, encore inconsciente peut-être, pour appliquer à une dialectique affective les formes usuelles de la musique instrumentale ou symphonique, à savoir l’équilibre ou l’opposition tonals, l’élaboration des thèmes, leurs variations et, au degré suprême de la rigueur, le contrepoint et la fugue.

Souci du détail représentatif ou suggestif d’une part et, d’autre part, dictature du sentiment, proche déjà de l’idée ; ces tendances opposées, en cherchant d’instinct à

  1. On pourrait citer et invoquer ainsi plus d’une page de Haydn dans l’admirable Création et les délicieuses Saisons — dont l’influence sur le romantisme a été énorme ; — mais ici la musique s’étaye sur un texte ou s’inscrit sur un canevas presque scénique : elle n’agit donc pas par elle seule.
  2. Entre autres la sonate pour piano op. 90 et, d’après certaines lignes des Cahiers de Conversation, la septième sonate pour piano et le trio op. 97 « à l’archiduc ».