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Que ce soit pour lui faire gloire d’enrichir la musique ou grief de l’altérer, on a souvent le tort de regarder le poème symphonique, fruit du romantisme, comme une invention soudaine, intégrale ; de même que l’habitude s’est prise plus tard de le considérer, par un renversement abusif, comme l’espèce dont la « musique à programme » serait un genre. Il faut dissiper dès l’abord cette première confusion : la seconde s’éclairera d’elle-même par la suite.

Loin de représenter une éclosion brusque et comme parasitaire, que rien n’annonçait ou ne présageait, le poème symphonique accentue seulement d’un trait plus large et plus profond une des lignes tracées avec plus ou moins d’hésitations, d’arrêts, de reprises, de détours, par toute l’histoire et l’évolution de l’art musical.

On a tout dit sur le pouvoir ou l’action, étrangers à elle-même, que les Grecs, fils d’Orphée et d’Amphion, attribuaient à la musique, cherchant dans ses lois l’équation du système planétaire, trouvant jusque dans les quatre cordes de la lyre primitive l’image ou l’écho des quatre éléments, puis, quand elle en eut sept, des sept planètes, découvrant les modes ou les mélismes les plus propres, dans l’éducation civique, à susciter les sentiments nobles et, jusque dans la zootechnie, à stimuler l’ardeur des étalons. En face de vues si vastes, quelle que fût alors l’indigence de l’invention musicale et du matériel sonore, on trouve des essais de leur application à des objets plus précis et plus menus. Ambros cite, au iiie siècle avant notre ère, un véritable récit musical, dû à Timosthène et retraçant le combat d’Apollon contre le dragon[1]. Des exemples de cette nature jalonnent, à intervalles plus ou moins éloignés, le cours des âges. Ils se multiplient et se précisent depuis les xviie et xviiie siècles, peut-être sous l’influence du machinisme

  1. Ambros, Geschichte der Musik (I, 481). Ce Timosthène était une sorte d’amiral sous Ptolémée Philadelphe (285-246 av. J.-C.) : les marins devenus compositeurs ne sont donc pas une nouveauté introduite dans l’histoire par Rimsky-Korsakov, Albert Roussel et Jean Cras…