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que les hommes ont jeté sur leurs besoins, pour se dispenser de se secourir, en continuant de se prodiguer les marques de l’affection la plus vive ; que c’est celui qui donne, qui est honoré et obligé, etc.

Ceux qui sont pour la négative me paraissent appuyer leur opinion par des raisons plus solides. Ils disent que l’amitié étant une union pure des âmes, elle ne doit pas se laisser soupçonner d’un autre motif. On peut appliquer cette réflexion à l’amour même. En tout état de cause, on fait toujours très-bien de ne donner que le moins qu’on peut atteinte à cette règle. Celui qui reçoit n’accepte sûrement que parce qu’il respecte l’âme de celui qui donne : mais d’où sait-il que cette âme ne se dégradera point ? et alors quel désespoir de lui avoir obligation ! D’où sait-il que cette âme, en supposant qu’elle reste noble, ne cessera point de l’aimer, voudra bien ne jamais se prévaloir de ses avantages ? Quelle âme il faut avoir pour laisser à celle d’un autre la liberté de tous ses mouvemens, tandis que je pourrais les contraindre et les diriger vers mon bonheur apparent ! Ce sacrifice continuel de mon intérêt est peut-être plus difficile que le sacrifice momentané de ma personne, et le bienfaiteur qui en est capable a nécessairement l’avantage sur