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en action ce qu’il leur avait pardonné de vociférer & d’écrire. Il s’éleva contre leurs excès long-tems avant de croire qu’il pût jamais en être victime, comme il avait déclamé contre les censeurs des réformes long-tems après qu’elles l’eussent atteint lui-même. On a fort bien saisi le caractère de ses déclamations désintéressées, lorsqu’on a dit de lui qu’il poursuivit avec passion, jusques sur lui-même, tous les abus de l’ancien régime ; qu’il se déchaîna contre les pensions, jusqu’à ce qu’il n’eut plus de pensions ; contre l’Académie, dont les jettons étaient devenus sa seule ressource, jusqu’à ce qu’il n’y eut plus d’Académie ; contre toutes les idolâtries, toutes les servilités, toutes les courtoisies, jusqu’à ce qu’il n’existât plus un homme qui osât se montrer empressé à lui plaire ; contre l’opulence excessive, jusqu’à ce qu’il ne lui restât plus un ami assez riche pour le mener en voiture ou lui donner à diner ; qu’enfin il se déchaîna contre la frivolité, le bel esprit, la littérature même, jusqu’à ce que toutes les liaisons, occupées uniquement des intérêts publics fussent devenues indifférentes à ses écrits, à ses comédies, à sa conversation[1]. On a aussi défini avec justesse son apparente misanthropie : c’était la même que celle de J. J. Rousseau. « Il haïssait les hommes, mais parce qu’ils ne s’aimaient point ; & le secret de son caractère est tout entier dans ce mot qu’il répétait sou-

  1. Journal de Paris, No. 178.