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traduire des épigrammes de l’Anthologie[1]. Au bout d’une vingtaine de jours, il fut en état de se lever & même de sortir. Il avait obtenu qu’on lui retirât un de ses gardes ; il parut un soir chez moi avec l’autre : prévenus le matin de sa visite, nous avions réuni quelques amis. Permettez, dit-il en entrant, que je vous présente mon sans-culotte, qui est beaucoup moins sans-culotte que moi. C’était effectivement un grand homme assez bien vêtu, & de fort bonne mine, ayant l’air de quelque ancien valet-de-chambre de grand seigneur ; mais n’importe, il était un des sans-culottes de la section Lepeletier[2], c’est à-dire un de ceux que les chefs de la tyrannie populaire enrôlaient sous ce titre dans chaque section, pour aller chez ce qu’ils appellaient les riches, s’établir à ne rien faire que se chauffer, manger, dormir & recevoir cent sous par jour ; corruption d’un nouveau genre exercée sur la classe active du peuple, par des gens qui lui promettant sans cesse les biens de la classe oisive, commençaient par lui en donner les vices.

Les hommes qui haïssaient le plus Chamfort, les amis les plus forcenés du régime dont il s’était si ouvertement déclaré l’ennemi, n’auraient pu le voir sans en être touchés, l’œil couvert d’une bande noire, presque

  1. J’en ai entendu plusieurs, dont le tour était fort heureux. Il n’y en avait aucune dans ce que j’ai retrouvé de ses papiers.
  2. La section Lepeletier était une des sections révolutionnaires de Paris. D’abord appelée « section de la Bibliothèque » parce que la Bibliothèque Nationale (l’ex-Bibliothèque Royale) était sur son territoire, elle fut la seule section à ne pas voter la déchéance du Roi après la prise des Tuileries (10 août 1792). (Note wiki)