Page:Chamfort - Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes, 1796, éd. Ginguené.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.
107
des savans, etc.

On a observé que les Écrivains en Physique, Histoire Naturelle, Physiologie, Chimie, étaient ordinairement des hommes d’un caractère doux, égal, & en général heureux ; qu’au contraire les Écrivains de Politique, de Législation, même de Morale, étaient d’une humeur triste, mélancolique, &c. Rien de plus simple, les uns étudient la Nature, les autres la Société. Les uns contemplent l’ouvrage du grand Être, les autres arrêtent leurs regards sur l’ouvrage de l’homme. Les résultats doivent être différens.

Si l’on examinait avec soin l’assemblage de qualités rares de l’esprit & de l’ame qu’il faut pour juger, sentir & apprécier les bons vers ; le tact, la délicatesse des organes, de l’oreille & de l’intelligence, &c., on se convaincrait que malgré les prétentions de toutes les classes de la Société, à juger les ouvrages d’agrément, les Poëtes ont dans le fait encore moins de vrais Juges que les Géomètres. Alors les Poëtes, comptant le Public pour rien, & ne s’occupant que des Connaisseurs, feraient à l’égard de leurs ouvrages ce que le fameux Mathématicien Viète faisait à l’égard des siens dans un tems où l’étude des Mathématiques était moins répandue qu’aujourd’hui. Il n’en tirait qu’un petit nombre d’exemplaires qu’il faisait distribuer à ceux qui pouvaient l’entendre & jouir de son livre ou s’en