Page:Chamfort - Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes, 1796, éd. Ginguené.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
iv
Notice
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

parce que j’avais imité Virgile : je l’ai remporté cette année parce que j’ai imité Buchanan[1], Sarbiewins[2] & les autres modernes. » Il y avait dans sa pièce de vers une description du canon & du ronflement d’une canonnade, qui enleva tous les suffrages, excepté peut-être celui de l’Auteur.

L’indépendance de son caractère, & la fougue précoce de ses passions lui rendait dès-lors très difficile à supporter la vie uniforme & réglée du collège. Sa gaieté piquante, ses réparties spirituelles & malignes mettaient souvent en désarroi la gravité de ses maîtres. M. Le Beau l’aîné, professeur de Grec, l’avait admis au nombre de ses disciples, & ses progrès étaient rapides ; mais sa pétulance & ses bons mots jettèrent un tel désordre dans la classe, que le professeur se crut obligé de l’exclure. Ce petit désagrément ne fit qu’ajouter à son dégoût : il sortit des Grassins avant d’avoir terminé sa philosophie, & partit pour la Normandie avec Letourneur, son camarade d’études & d’espiègleries, celui qui s’est fait connaître depuis par les traductions élégantes d’Young & d’Ossian[3]. Ils allèrent jusqu’à Cherbourg, on ignore dans quel dessein : ils revinrent sans avoir réussi, & tous deux beaucoup plus pauvres qu’avant cette équipée. La maison qu’ils avaient quittée les reprit avec indulgence ; & il faut bien avouer que leur conduite répondit assez mal à cette preuve de bonté.

Cependant au milieu de cette première effervescence d’une jeunesse orageuse, ils apprenaient l’Anglais, l’Italien ; Nicolas faisait des vers ; il corrigeait ceux de

  1. George Buchanan (1506-1582), historien, humaniste, poète latinisant et dramaturge écossais. Pendant son exil en France à cause des persécutions contre les Protestants, il fut le professeur de Montaigne en latin au collège de Guyenne à Bordeaux. Cf. Montaigne, Michel Eyquem de. Essais, i, 26, p. 173, éd. Pléiade, 1962. (Note wiki)
  2. Maciej Kazimierz Sarbiewski (1595-1640), prêtre jésuite et poète polonais de langue latine, connu dans toute l’Europe de l’époque. (Note wiki)
  3. Ossian est un légendaire barde gaélique dont les poèmes épiques furent admirés à travers l’Europe préromantique (parmi les lecteurs enthousiastes Napoléon et Goethe). Le poète écossais James Macpherson (1736-1796) fit sa renommée en publiant, entre 1760 et 1765, la « traduction anglaise » de ces poèmes gaéliques originaux qu’il prétendit avoir découvert. La supercherie littéraire fut établie définitivement à la fin du xixe siècle. (Note wiki)