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dans le monde, sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l’honnête homme du fripon, c’est de ne la jouer que dans les cas forcés, et pour échapper au péril ; au lieu que l’autre va au-devant des occasions.

— On fait quelquefois dans le monde un raisonnement bien étrange. On dit à un homme, en voulant récuser son témoignage en faveur d’un autre homme : C’est votre ami. Eh ! morbleu, c’est mon ami, parce que le bien que j’en dis est vrai, parce qu’il est tel que je le peins. Vous prenez la cause pour l’effet, et l’effet pour la cause. Pourquoi supposez-vous que j’en dis du bien, parce qu’il est mon ami ? et pourquoi ne supposez-vous pas plutôt qu’il est mon ami, parce qu’il y a du bien à en dire ?

— Il y a deux classes de moralistes et de politiques : ceux qui n’ont vu la nature humaine que du côté odieux ou ridicule, et c’est le plus grand nombre ; Lucien, Montaigne, Labruyère, Larochefoucault, Swift, Mandeville, Helvétius, etc : ceux qui ne l’ont vue que du beau côté et dans ses perfections ; tels sont Shaftersbury et quelques autres. Les premiers ne connaissent pas le palais dont ils n’ont vu que les latrines ; les seconds sont des enthousiastes qui détournent leurs yeux loin de ce qui les offense, et qui n’en existe pas moins. Est in medio verum.

— Veut-on avoir la preuve de la parfaite inutilité de tous les livres de morale, de sermons, etc. ?