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blasphème, saillie brillante, bouffonnerie froide : Rabelais sur la scène, tel est Aristophane. Il attaque le vice avec le courage de la vertu, la vertu avec l’audace du vice. Travestissemens ridicules ou affreux, personnages métaphysiques, allégories révoltantes, rien ne lui coûte ; mais de cet amas d’absurdités naissent quelquefois des beautés inattendues. D’une seule scène partent mille traits de satire qui se dispersent et frappent à la fois : en un moment il a démasqué un traître, insulté un magistrat, flétri un délateur, calomnié un sage. Une certaine verve comique, et quelquefois une rapidité entraînante, voilà son seul mérite théâtral ; et c’est aussi le seul que Molière ait daigné s’approprier. Combien ne dut-il pas regretter la perte des ouvrages de Ménandre ! la comédie avait pris sous lui une forme plus utile. Les poètes, que la loi privait de la satire personnelle, furent dans la nécessité d’avoir du génie ; et cette idée sublime de généraliser la peinture des vices, fut une ressource forcée où ils furent réduits par l’impuissance de médire. Une intrigue, trop souvent faible, mais prise dans des mœurs véritables, attaqua, non les torts passagers du citoyen, mais les ridicules plus durables de l’homme. Des jeunes gens épris d’amour pour des courtisanes, des esclaves fripons aidant leurs jeunes maîtres à tromper leurs pères, ou les précipitant dans l’embarras, et les en tirant par leur adresse : voilà ce qu’on vit sur la scène comme