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horreur profonde, et jurait de mourir plutôt que de s’y laisser reconduire. Cependant la tyrannie érigée par le crime, appuyée sur la terreur publique, devenait de jour en jour plus cruelle ; on signifie brusquement à Chamfort qu’il faut retourner dans une maison d’arrêt ; il se souvient de son serment : sous prétexte de faire ses préparatifs, il se retire dans une pièce voisine, s’y renferme, charge un pistolet, veut le tirer sur son front, se fracasse le haut du nez et s’enfonce l’œil droit. Étonné de vivre et résolu de mourir, il saisit un rasoir, essaie de se couper la gorge, y revient à plusieurs reprises, et se met les chairs en lambeaux ; l’impuissance de sa main ne change rien aux résolutions de son âme ; il se porte plusieurs coups vers le cœur, et commençant à défaillir, il tâche par un dernier effort de se couper les deux jarrets, et de s’ouvrir les veines. Enfin, vaincu par la douleur, il pousse un cri et se jette sur un siège. Les personnes qui se trouvaient chez lui, et avec lesquelles il venait de dîner, averties de ce qui se passait par le bruit du coup de pistolet et par le sang qui coule à flots sous la porte, se pressent autour de Chamfort pour étancher le sang avec des mouchoirs, des linges, des bandages ; mais lui, d’une voix ferme, déclare qu’il a voulu mourir en homme libre, plutôt que d’être reconduit en esclave dans une maison d’arrêt, et que si, par violence, on s’obstinait à l’y traîner dans l’état où il est, il lui reste assez de force pour achever ce