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saire. Cette conviction, une fois faite, devint déterminante pour ma vie entière et son développement ».

Wagner fut donc bien un révolutionnaire ; il l’avait été avant 1848, il le resta jusqu’à sa mort. Dans quel sens il le fut, c’est ce que je chercherai à faire comprendre aux chapitres qui traitent de sa politique et de sa doctrine de la régénération. Qu’il me suffise de constater ici qu’il n’avait que peu de points de contact, même extérieur, avec les protagonistes du mouvement auquel il se trouva mêlé ; au fond, ils lui étaient absolument étrangers, et lui, il leur était plus étranger encore. Bakounine a témoigné, en pleine audience, « qu’il avait immédiatement reconnu Wagner pour un rêveur sans portée pratique ». Ce jugement est caractéristique de ce que pensaient de lui les vrais politiciens. Et ils avaient raison : Wagner n’était pas des leurs. Ce qui le trompa, ce fut l’indomptable poussée de ses aspirations. Là encore, comme souvent dans ses amitiés et dans ses espérances, le pressant besoin de son âme, exaspéré par la puissance créatrice d’une imagination ardente, lui fit faire fausse route.

Un fait reste certain, c’est que Wagner ne comprit pas d’abord que ceux qui voulaient faire la révolution en 1848, et ceux qui, au contraire, poussaient à la réaction, étaient, à tout bien considérer, la même sorte d’hommes. C’étaient, les uns comme les autres, des politiciens ; les uns voulaient plus de liberté politique, les autres moins ; mais aucune divergence essentielle ne les séparait. Wagner, tout au contraire, poète lui aussi, voyait les choses du même point de vue que Schiller ; une force supérieure « le poussait à échapper au triste état de choses du siècle présent pour marcher à la conquête d’un ordre nouveau, conforme à la vraie nature humaine ». La révolution qu’il demandait,