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Il serait bon de s’arrêter un instant à cette attitude, prise par la critique vis-à-vis de Wagner, attitude caractéristique, et qui rappelle le jugement sommaire du régisseur Hauser sur Les Fées. Ce qu’est un homme se connaît aussi bien aux ennemis qu’aux amis qu’il se fait.

Partout et toujours, les œuvres de Wagner ont agi sur un public naïf et sans préventions avec une puissance irrésistible ; point n’est besoin d’autre chose, pour en percevoir les beautés, que d’un cœur largement ouvert. Survint la critique, et cette critique chicana, discuta, trouva faute tant et si bien, qu’elle réussit à troubler le plaisir du public, et plus encore la sincérité naturelle et saine du verdict spontané qu’il avait d’abord rendu. Le brave bourgeois de Dresde qui, la veille, au théâtre, avait applaudi avec enthousiasme l’œuvre nouvelle, se prenait à réfléchir, lorsque, le lendemain, les comptes-rendus du Journal de Dresde (Dresdner Journal) ou de la Gazette du Soir (Abendzeitung) avaient rendu leur arrêt et démontré que cela ne devait ni ne pouvait être beau… Pour établir l’incompétence ridicule de ces oracles, il suffit de citer les noms, aujourd’hui presque oubliés, qu’ils opposaient à celui de Wagner : de même que naguère, à Vienne, la critique préférait à Mozart un Gyrowetz, un Boccherini, de même, à Dresde, des critiques osaient exalter, aux dépens de Wagner, un Hiller, un Reissiger[1] !

Il ne vaudrait, en vérité, pas la peine de citer ces exemples de l’étroitesse qui peut borner certains esprits, si la critique et son hostilité n’avaient joué un

  1. Ce n’est que comme auteur de la Dernière Pensée de Weber que Reissiger est encore connu aujourd’hui.