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mais encore une intime fusion de la musique et du texte[1] ; à cette motte d’argile, la musique insuffle une âme, comme Jéhovah au premier homme, et alors, elle n’est plus seulement un ornement, elle ne se borne plus à seulement « renforcer l’expression », mais, du dedans au dehors, elle anime l’organisme dramatique. Toutefois, chez Mozart, cette chose inouïe s’était produite inconsciemment et sans qu’il y visât ; et comme il retombait vite dans la musique « absolue » et dans les formules d’opéra ! Donc, l’œuvre de ce génie « fait de lumière et d’amour » pouvait égarer plutôt que guider, et Wagner en était réduit à ses propres forces. Probablement il eût trouvé sa voie beaucoup plus tôt, avec moins de peine et sans réflexion aucune, s’il ne se fût vu assujetti d’abord à une forme donnée, dont il ne pouvait s’écarter, extérieurement, du moins, sous peine de mettre au monde des produits morts-nés. Il voulut donc s’assurer des « possibilités » de l’opéra, se rendre compte si, dans cette forme donnée, on pouvait atteindre à la fusion organique de la poésie avec la musique. Chacune des œuvres de la première moitié de sa vie n’est qu’un essai de réponse à cette question. Le jeune artiste dut voir là, tout d’abord, un simple problème technique, et tant qu’il n’eût pas atteint la vraie maîtrise, il eut le droit de croire que c’était l’insuffisance de ses propres moyens qui empêchait ses œuvres de ré-

  1. « Et ici, je rappelle encore le glorieux musicienqui fut tout ce qu’en l’homme peut être la musique, quand celle-ci, dans la plénitude de son essence, est musique et rien que musique : j’ai nommé Mozart ! Fut-il donc un moindre musicien, pour n’être qu’entièrement musicien, et rien que musicien ? Voyez son Don Juan ! Quand, jamais, la musique est-elle parvenue à ce degré d’individualité, quand a-t-elle, avec cette sûreté et cette précision, réussi à caractériser, d’une richesse si prodigue et si merveilleuse ? » (Opéra et Drame.)