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Déjà le fait que tant de plans, si divers, se disputaient, à ce moment, la pensée du maître, montre, à lui saul, la vraie nature du processus intérieur. Nous avons vu que Wagner, lorsque, dans ses plus jeunes années, il eut terminé sa première grande tragédie, s’aperçut bientôt qu’il y manquait encore l’expression musicale. Chez lui, la sensibilité dramatique exige la coopération de la parole et du langage des sons. Dans son cœur, les deux moyens d’expression forment une unité organique. Mais l’un et l’autre langage ne sauraient se produire que séparément, et il n’y a que l’exécution parfaite de l’œuvre d’art qui puisse les englober dans son unité. Or, Wagner n’avait pas de modèles ; jamais on n’avait essayé de marcher vers le but qu’il voulait atteindre. D’un côté, il trouvait le drame parlé, récité, de l’autre, avec Beethoven, la musique faite drame ; entre les deux : « une absurdité sans nom », l’opéra, cette forme dont Wagner pensait qu’elle « offense grossièrement le sens allemand, tant musical que dramatique», et que Hoffmann avait déjà raillée en l’accusant« d’organiser des concerts sur la scène, avec l’aide de costumes et de décors », cette forme contre laquelle tonnait Herder, parce qu’elle « fait du poète le valet «lu musicien ». Ce n’était que dans le brumeux lointain d’âges dès longtemps disparus, dans le drame grec, que le juvénile artiste pouvait chercher un idéal qui eût, avec le sien quelque rapport de parenté. Tout au plus Mozart, qui, à ce point de vue, peut nous apparaître comme le véritable précurseur de Wagner, pouvait-il, dans quelques rares fragments de ses œuvres, lui servir de prototype ; avec Mozart, par places, l’opéra s’élève au-dessus de lui-même, en ne présentant pas seulement un spectacle saisissant, comme cela se trouve souvent chez Gluck,