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que la lutte contre Lohengrin avait duré près de vingtcinq ans, Tristan, dix ans après les outrages qui accueillirent son apparition, était devenu « l’opéra favori » des Munichois ; que l’Anneau du Nibelung, cinq ans après sa première représentation, promenait ses triomphes, non seulement sur toutes les grandes scènes d’Allemagne, mais presque dans l’Europe entière ; et qu’enfin, dès le début, Parsifal voyait accourir à Bayreuth des spectateurs de toutes les parties du monde. Qu’on ne croie donc plus à la légende d’un succès plus facile pour les premières œuvres !

Cette légende a un corollaire qui ne vaut pas mieux qu’elle : c’est que Wagner, jusqu’à Lohengrin, aurait écrit de fort beaux opéras, mais qu’après son exil, il se serait perdu dans de « nébuleuses théories » sur une « œuvre d’art intégrale » ; qu’il aurait été, tout à coup, saisi d’une sorte de rage réformatrice, etc., etc. Tout cela, n’est que des mots ; il n’y a pas une solution de continuité, pas un bond, pas une déviation subite dans le développement artistique de Wagner. Nous avons vu comment, dans ses premières œuvres, obéissant à son instinct, au désir d’exprimer complètement ce que, comme poète, il se sentait poussé à dire, comment, pas à pas, il se rapprocha du but : il n’y a pas deux de ses œuvres qui soient semblables l’une à l’autre, et chacune est un anneau d’une chaîne continue. Avec Tannhäuser et Lohengrin, ce développement a complété son cycle : « Ce ne fut qu’après avoir achevé Tannhäuser et enfin aussi Lohengrin que je me rendis clairement compte de ma direction propre, suivie jusque-là d’instinct seulement », dit Wagner dans sa lettre à Liszt du 22 mai 1851. Et tout ce développement, encore qu’instinctif et fait d’une série d’expériences personnelles, s’est déroulé conformément