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soires d’opéra ne font que les déparer. Combien tragique, la scène où Arindal maudit ce qu’il a de plus cher au monde, sa femme Ada ! Combien poignant le moment culminant du drame, la scène de folie, avec son riche déploiement des sentiments humains les plus divers ! et qu’elle est merveilleusement pensée, cette délivrance de l’amante changée en pierre par le charme magique du chant de son bien-aimé qui l’appelle et la pleure ! « Oui », s’écrie Arindal, « je possède la force des dieux ! Car je connais la puissance ineffable des sons, ce quelque chose de divin qui est en l’homme mortel ! » Il chante, et son chant rompt le charme, et sa femme chérie tombe dans ses bras. Mais il n’y a pas de passage qui nous permette, à n’en pas douter, de reconnaître Wagner tout entier, autant que celui où Arindal, à la chasse, s’écrie devant une biche qu’il vient de frapper :

J’ai visé juste ! Ah ! ah ! j’ai frappé au cœur !
Oh ! voyez, l’animal sait pleurer !
La larme brille dans son œil ;
Comme il me poursuit de son regard !
Oh ! combien navré est son regard, qui me suit.
Combien touchante est sa beauté !

Et ce n’est pas seulement que cet accent de pitié rappelle le vers bien connu de Parsifal : « L’œil s’éteint ; en vois-tu le regard ! » ; c’est encore et surtout que ces quelques vers trahissent la tendance spéciale du drame wagnérien. Un poète seul, et sans l’assistance d’un musicien, n’eût pas osé exprimer un sentiment aussi profond dans ces simples mots : « Oh ! voyez, l’animal sait pleurer ! » et les relier, sans transition, à ceux-ci : « Ah ! ah ! j’ai frappé au cœur » ; un musicien