Page:Chamberlain - Richard Wagner, sa vie et ses œuvres, 1900.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

action, agit sur l’homme « à la façon d’une force naturelle, que l’on subit sans pouvoir se l’expliquer ». C’était déjà l’opinion de Gœthe : « La dignité de l’art, disait-il, n’apparaît nulle part aussi éminemment que dans la musique, car la musique n’a point de matière : elle est toute forme et toute substance ; et elle relève et ennoblit tout ce qu’elle exprime. » Les poètes romantiques allemands sont allés plus loin encore. Henri de Kleist considérait la musique comme « la racine de tous les arts », Hoffmann disait que « la musique ouvrait à l’homme un monde inconnu, un monde qui n’avait rien de commun avec celui que nous font voir nos sens ». Le monde inconnu dont parlait Hoffmann, c’est cette « image complète du monde » que Wagner place dans l’âme prédestinée du Voyant.

Comme il y a loin, de ces nobles jugements des poètes sur le rôle sacré de la musique, aux théories de nos esthéticiens déclarant, avec le philosophe Herbart, que « l’essence véritable de la musique consiste tout entière dans les règles du simple et du double contrepoint », et lui refusant en conséquence toute signification supérieure ! Déjà Schiller nous a appris que la musique avait sur lui le pouvoir de lui faire créer des formes vivantes. Et voici que Wagner, complétant son témoignage, nous révèle le véritable pouvoir de la musique. La musique, pour lui, est un organisme féminin, incapable de créer par lui-même des formes vivantes, mais qui devient, de tous les arts, le plus créateur, lorsqu’il est fécondé par le Poète-Voyant. C’est dans le drame seulement que la musique peut créer des formes : et il en résulte, d’autre part, que le drame purement humain ne saurait se passer du secours de la musique.

« La musique, dit Wagner, ne doit pas entrer dans