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français l’art n’était qu’un simple divertissement, Gœthe l’appelait « la magie du sage » ; Schiller lui attribuait le pouvoir de « rendre à l’homme sa dignité perdue » ; Beethoven disait de la musique « qu’elle donnait accès à un monde supérieur » ; et voici que Wagner définit l’art « notre unique salut dans cette vie terrestre. » La puissance d’expression nouvelle dont dispose désormais le poète-musicien se trouve répondre, d’après lui, à un profond besoin intérieur de l’humanité tout entière.

Comme une roue qui tourne sans cesse plus vite, le tourbillon de la vie nous roule, nous secoue, nous entraîne toujours plus loin du terrain ferme de la nature. Mais l’art apparaît : il délivre la pensée en la transportant de l’apparence dans la réalité ; il rachète la science ; il habitue l’homme à se faire de la nature une compréhension infinie ; dans «l’homme de l’utilité », il réveille l’harmonie de son essence humaine ; au philosophe il montre la voie de la connaissance purement objective ; à ceux qui ont soif de liberté il apprend la manière de reconquérir leur dignité d’homme ; enfin il ressaisit et conserve le cœur de la religion, et, uni à elle, il conduit l’humanité hors de « l’état de meurtre et de rapine organisé et légalisé », où la politique l’a amenée, il la conduit vers un état nouveau, vraiment conforme aux besoins profonds de sa nature. Telle est, d’après Wagner, la haute destination de l’art.

Nous aimerions à pouvoir suivre Wagner dans les détails de cette théorie, à voir, par exemple, comment l’art des Grecs, suivant lui, s’est trouvé détruit le jour où il a rejeté « ce qui formait son lien avec la communauté », c’est-à-dire la religion ; comment l’art grec avait pour objet essentiel « d’exprimer ce qu’il y avait de plus profond et de plus noble dans la conscience