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ditions fait défaut, le drame n’a rien de nécessaire, et n’est qu’un produit accidentel. »

Ainsi l’art véritable doit avoir pour effet d’unir l’humanité. Il doit résulter de la collaboration de tous, et fournir à tous la joie la plus haute. Tel est cet art que Wagner aimait à appeler « l’art de l’avenir ». Et l’on peut voir dès maintenant à quel profond besoin de l’âme humaine il a mission de répondre. Lui seul, d’après Wagner, peut nous sauver de la complication, tous les jours plus grande et plus désastreuse, de notre vie sociale : de cette complication infinie où l’individu n’a plus même le sentiment d’être un homme, mais devient quelque chose comme un homunculus artificiel, l’élément infinitésimal d’un monstrueux mécanisme. N’est-il pas visible, en effet, qu’à mesure que notre civilisation avance, que notre science se développe, et que se complique l’organisation totale de notre vie, l’horizon de chacun de nous ne cesse pas de se rétrécir ? D’année en année l’individu obtient une part plus petite dans l’ensemble de la vie spirituelle de l’humanité. Déjà Schiller s’effrayait de cet émiettement : « Toujours condamné à ne tenir qu’un fragment de l’ensemble, disait-il, l’homme finit par ne devenir lui-même qu’un fragment. Ayant toujours dans l’oreille le seul bruit monotone de la roue qu’il fait tourner, il devient hors d’état de développer l’harmonie de son être ; et au lieu d’exprimer en lui l’humanité tout entière, il n’est plus qu’un reflet de ses affaires ou de sa science. » Et déjà aussi Schiller, comme Wagner, voyait dans l’art l’unique voie de salut : « Seul l’idéal, disait-il, peut ramener les hommes à l’unité. » Cette conception de la valeur éducatrice et rédemptrice de l’art me paraît, d’ailleurs, un trait distinctif de l’esprit allemand. Tandis que pour la plupart des écrivains