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Wagner écrit : « Au reste, mes vues sur le genre humain deviennent de plus en plus sombres ; la plupart du temps je suis bien forcé de sentir que notre espèce mérite d’être anéantie. » En janvier 1854, il écrit à Liszt : « Je ne crois plus et je ne connais plus qu’une espérance : un sommeil, mais un sommeil si profond, si profond que cesse tout sentiment de la peine de vivre. » Bien instructif aussi, sous ce rapport, est l’enthousiasme de Wagner pour Hafiz, en 1852 et 1853 ; car on peut lire, entre les lignes de mainte page de ce poète, combien pessimiste est la vision du monde d’où dérive sa joie de vivre. C’est de Hafiz que Wagner écrit en octobre 1852 : « Il est le plus grand et le plus haut des philosophes. Jamais personne n’a vu le fond des choses d’une vue plus sûre, plus irréfutable ». Ajoutons que le « Tat-tvam-asi » hindou se retrouve dans le credo de Wagner, dans cette thèse d’Opéra et Drame que l’art est l’accomplissement de notre désir de nous retrouver parmi les phénomènes du monde extérieur. Plus frappant encore est le puissant relief donné à la pitié comme ressort moral, dans les écrits et dans les œuvres de Wagner, dès les premiers temps ; c’est même là le cachet le plus personnel de son individualité morale.

Ainsi Wagner nous apparaît, en 1854, comme un homme dont la puissance de vision s’est aiguisée pendant un long séjour dans les ténèbres, qui y a appris à reconnaître les objets, les plus prochains distinctement, les plus lointains comme estompés et voilés d’obscurité. Schopenhauer se montre, et la lumière avec lui ! C’est pourquoi j’ai tellement insisté sur la concordance entre les vues philosophiques de Wagner d’une part, et les doctrines de Schopenhauer de l’autre. Il est clair, en outre, que, si le maître était mort en 1854, la clé man-