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l’avait déjà fait, avec l’instinct inconscient de l’artiste, dans l’Anneau du Nibelung) ; ce n’est plus alors le symbole seul de l’échange qu’il critiqua, mais la malédiction qui s’y est attachée, le manque de charité.

Il n’est pas difficile de voir quel rapport peut avoir une telle doctrine avec l’anarchisme. Ce rapport n’existe que dans la négation. Le monde actuel est reconnu comme mauvais ; c’est là une donnée fondamentale. Mais il n’y a pas, et ne pouvait pas y avoir autre chose de commun entre Wagner et l’anarchisme. L’anarchiste politique ne part pas de Dieu, n’invoque pas « l’application de la pure doctrine du Christ » ; il ne considère pas la royauté comme « le point central et sacré de l’État», il ne prêche pas la « régénération » comme la condition préalable d’un meilleur avenir… : et surtout, l’anarchiste brise le fil de l’histoire, et fait ainsi une criminelle violence à la nature entière. Wagner, par contre, ne veut pas s’écarter du développement historique de l’humanité. Il écrivait en 1851 : « L’avenir ne peut se concevoir autrement que conditionné par le passé ! » Et si on veut savoir combien significatifs sont ces mots, qu’on rapproche la formule où Auguste Comte, en 1848, résumait son but et sa doctrine : « réorganiser la société sans Dieu, ni roi », de cette « confiance en Dieu et dans le roi » que Wagner cherchait, la même année, à inspirer à une association démocratique !

J’espère que le lecteur aura compris pourquoi Wagner n’a jamais pu être compté à l’actif d’un parti politique spécial et qu’il ne tombera pas dans la méprise dont Wagner se plaignait déjà vers 1850 : « On me dénonce aux démocrates comme un aristocrate déguisé, aux Juifs comme un persécuteur,