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révolution non point la création violente d’un ordre nouveau, mais « la fin de l’anarchie[1] ».

Aujourd’hui, on ose à peine prononcer le mot d’anarchiste ; il semble désormais impliquer la bombe, l’incendie et le meurtre. Mais si je prends le terme au sens paradoxal qu’on lui donnait il y a cinquante ans, je trouve plus d’un point de contact entre la pensée de Schiller et de Wagner et l’anarchisme de Proudhon. Wagner emploie volontiers le mot d’anarchie ; c’est ainsi qu’il dit, en 1852 : « Comment un homme fait de méthode de la tête aux pieds pourrait-il comprendre mon anarchie naturelle ? » ; et ailleurs : « j’ai cru devoir m’en tenir plutôt au chaos qu’aux conditions existantes » ; et, dans son écrit de novembre 1882 sur la représentation de Parsifal, il déclare que l’excellence de celle-ci devait être un résultat de l’anarchie, en ce sens que chacun faisait ce qu’il « voulait, c’est-à-dire, ce qui était juste ». Cette remarque n’est faite, sans doute, qu’à moitié sérieusement ; mais c’est avec un sérieux amer qu’à la fin du même opuscule, il appelle notre monde actuel, presque dans les mêmes termes que Proudhon, « un monde de meurtre et de proie organisé et légalisé par le mensonge, la fourberie, et l’hypocrisie ».

D’autre part, lorsque, à l’Association patriotique, il exprima ses vues sur l’organisation sociale, il réclama « l’abolition de l’argent » et résuma, par cette audacieuse requête, toutes les misères de notre « ordre anarchique », condensées en ce seul mot : « Notre dieu, c’est l’argent ; notre religion, le lucre ». Trente ans plus tard, il creusa plus avant cette même pensée (comme d’ailleurs antérieurement, il

  1. Voir surtout : Idée générale de la Révolution, pp. 122 et 298.