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Wagner sentait en lui la force de transformer toute la vie humaine. Puisque l’art exigeait cette transformation, elle devait s’accomplir !

Posons donc tout d’abord en fait ceci : c’est que la pensée de Wagner devait nécessairement dépasser les limites de l’art professionnel ; qu’il a, en cela, suivi la même voie que les autres héros de l’art, les grands initiateurs ; qu’il n’a cependant jamais abandonné le domaine propre de l’art, mais qu’au contraire toute l’unité de sa pensée, comme l’unité de sa vie en toutes ses manifestations, ont constamment évolué autour de ce point fixe, sans s’en départir jamais. Nous verrons, au cours de ces chapitres, à quel point Wagner resta toujours artiste, et combien il est juste de dire que cette qualité, sans borner sa pensée, devait cependant l’orienter exclusivement dans une direction déterminée. Contentons-nous, cependant, de sa propre déclaration, faite au temps de sa plus fiévreuse activité littéraire. « Dans tout ce que je fais, dans tout ce que je rêve ou pense, je ne suis et ne veux être qu’artiste, et rien qu’artiste. »

Ce que je tiens avant tout à établir, pour le moment, c’est que rien ne prouve mieux le caractère exclusivement artistique de sa nature que le fait qu’il ne prit jamais la plume que quand il se vit contraint de le faire. À l’exception presque unique de son Beethoven, tous ses écrits attestent une réaction violente de sa part contre quelque influence contraire ou défavorable à ses aspirations créatrices. Au reste, le maître le déclare lui-même : « Je n’ai jamais écrit que sous la pression d’une nécessité absolue, » dit-il. De là l’apparition en quelque sorte spasmodique de ses écrits. La plupart du temps, ils paraissent en succession rapide, par groupes, éloignés les uns des autres par de longs intervalles consacrés à la création artistique. Qu’un