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de Beethoven, pendant qu’il habitait Vienne ; ces traditions, hélas ! s’étaient dès longtemps perdues quand Wagner y vint, et, d’ailleurs, son art n’était pas fait pour le mécénat, il lui fallait un peuple entier… ou un roi. À Vienne, il ne trouva ni l’un ni l’autre. Si l’on excepte quelques Allemands de la classe bourgeoise, il y vécut dans un complet isolement. Ce but artistique, si élevé, qu’il poursuivait, il lui fallut tenter de le défendre, seul et sans appui, contre une des administrations théâtrales les plus corrompues de l’Europe, et contre une presse dont le niveau moral n’étaitpas certes plus élevé que celui de cette administration, mais qui, elle, savait où elle voulait aller, et y apportait une adresse insigne.

Je ne crois pas qu’il y ait eu dans la vie de Wagner de temps aussi lamentable, aussi tristement dépouillé au point de vue intellectuel et artistique, aussi plein de néant, si j’ose dire, que précisément celui qu’il passa à Vienne. Que pouvait être, pour un Richard Wagner, le grand succès de ses concerts à Vienne, à Prague, à Pétersbourg, à Moscou ? Ils lui fournissaient de l’argent, voilà tout. Le « sybaritisme » de Wagner, dans sa petite maisonnette de Penzing, près de Vienne, a de tout temps servi de texte aux journaux pour des philippiques indignées contre le grand poète. On parle de soie et de velours, de festins arrosés de vin de Champagne, que sais-je ? Ces racontars eussent-ils même quelque fondement en fait, ils ne feraient tout au plus que confirmer ce que je viens de dire. Dans son silencieux asile suisse, l’artiste solitaire, abandonné de tous, avait pu porter son regard vers les Alpes et chercher quelque consolation dans la contemplation d’une nature grandiose ; à Paris, il avait pu se sentir dédommage de bien des injustices par l’affectueuse admiration