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est encore antique ; elle relève de celle de Tacite et de l’homme juste d’Horace : elle rappelle de vertueux accents de Juvénal ou de Perse, quelque chose comme un Caton poète, un Alceste lyrique, et qui sait, au besoin, s’armer de l’ïambe.

Orgueil et courage, orgueil et plaisir à se trouver à part, seul debout, exposé à la rage des méchants, quand les lâches et les hébétés se taisent, il entre beaucoup de cela dans l’inspiration politique d’André Chénier.

Ce mot de brouillons revient perpétuellement dans sa bouche pour flétrir ses adversaires : c’est le stigmate imprimé par un esprit juste et ferme au genre de défaut qui lui est le plus antipathique et qui le fait le plus souffrir.

André Chénier entra décidément dans la polémique au Journal de Paris, par un article du 12 février 1792 contre la ridicule et indécente Préface que Manuel avait mise en tête des Lettres de Mirabeau et de Sophie, C’est l’écrivain homme de goût qui s’irrite d’abord et qui s’indigne de cette violation inouïe de la raison et de la pudeur dans la langue. Lui, amateur des sources antiques, toujours en quête des saines et bonnes disciplines, qui voudrait produire dans son style la tranquillité modeste et hardie de ses pensées ; lui qui, dans les belles pages de prose où il ébauche des projets d’ouvrages sévères, aspire et atteint à la concision latine, à la nerveuse et succulente brièveté d’un Salluste honnête homme et vertueux, on conçoit la colère à la Despréaux, et plus qu’à la Despréaux, qui dut le saisir en voyant un tel débordement de déclamations