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J’ai de plus, ajoute-t-il, goûté quelque joie à mériter l’estime des gens de bien en m’offrant à la haine et aux injures de cet amas de brouillons corrupteurs que j’ai démasqués. J’ai cru servir la liberté en la vengeant de leurs louanges. Si, comme je l’espère encore, ils succombent sous le poids de la raison, il sera honorable d’avoir, ne fut-ce qu’un peu, contribué à leur chute. S’ils triomphent, ce sont gens par qui il vaut mieux être pendu que regardé comme ami. »

Et ici, nous retrouvons le sentiment fondamental de l’inspiration d’André Chénier pendant toute la Révolution. Il le dira et le redira sans cesse : « Il est beau, il est même doux d’être opprimé pour la vertu. »

Environ deux ans après son Avis aux Français, dénonçant dans le Journal de Paris (n° du 29 mars 1792) la pompe factieuse et l’espèce de triomphe indigne décerné aux soldats suisses du régiment de Châteauvieux, il terminera en s’adressant à ceux qui demandent à quoi bon écrire si souvent contre des partis puissants et audacieux, car on s’y brise et on s’expose soi-même à leurs représailles, à leurs invectives :

Je réponds, dit-il, qu’en effet une immense multitude d’hommes parlent et décident d’après des passions aveugles, et croient juger, mais que ceux qui le savent ne mettent aucun prix à leurs louanges, et ne sont point blessés de leurs injures.

J’ajoute qu’il est bon, qu’il est honorable, qu’il est doux, de se présenter par des vérités sévères, à la haine des despotes insolents qui tyrannisent la liberté au nom de la liberté même.

Quand des brouillons tout-puissants, ivres d’avarice et d’orgueil, tombent détruits par leurs propres excès, alors