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loin de toute affaire, avec mes amis, dans la retraite et dans la plus entière liberté. » Comme tous ceux qui portent en eux l’idéal, il était très-vite capable de dégoût et de dédain. Pourtant cette misanthropie première ne tint pas devant les grands événements et les promesses de 89. Le serment du Jeu de Paume le transporta. Il n’avait que vingt-sept ans, et, pendant deux années encore, jusqu’en 1792, nous le voyons prendre part au mouvement dans une certaine mesure, donner en quelques occasions des conseils par la presse, ne pas être persuadé à l’avance de leur inefficacité ; en un mot, il est plus citoyen que philosophe, et il se définit lui-même à ce moment « un homme pour qui il ne sera point de bonheur, s’il ne voit point la France libre et sage ; qui soupire après l’instant où tous les hommes connaîtront toute l’étendue de leurs droits et de leurs devoirs ; qui gémit de voir la vérité soutenue comme une faction, les droits les plus légitimes défendus par des moyens injustes et violents, et qui voudrait enfin qu’on eût raison d’une manière raisonnable. »

Ce premier moment qui nous laisse voir André Chénier dans la modération toujours, mais pas encore dans la résistance, se distingue par quelques écrits, dont le plus remarqué fut celui qui a pour titre ; Avis aux Français sur leurs véritables Ennemis, et qui parut d’abord dans le numéro XIII du Journal de la Société de 89. Il est signé du nom de l’auteur et porte la date de Passy, 24 août 1790. La ligne honorable d’André Chénier s’y dessine déjà tout entière :