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Il osait bien marcher d’un œil calme et serein
Contre les feux tonnants et les bouches d’arain.




.....mes plaisirs veulent un peu de gloire.
J’aime qu’à votre amour je doive ma victoire.
Votre bouche dit non ; votre voix et vos yeux
Disent un mot plus doux, et le disent bien mieux.
Craignant de vous livrer, craignant de vous défendre,
Vous ne m’accordez rien et me laissez tout prendre.
La molle résistance, aux timides refus,
Est pour un cœur sensible une faveur de plus.


LXXIII[1]


Tune meam potuisti. Prop.[2]


On ne vit que pour soi ; l’amitié n’est qu’un nom.
Je veux que mon ami soit hors de tout soupçon ;
Mais je vais, tout rempli de mon enchanteresse,
Lui conter mes plaisirs, sa beauté, mon ivresse.
De ces récits d’amour l’éloquente chaleur,
En me disant heureux, a fait tout mon malheur.
Peut-être sur ma foi dévorant ma conquête.
Il vole, en m’accusant, assurer ma défaite,
Me bannir de mon règne, et d’un récit d’amour
Devenir, s’il se peut, le héros à son tour ;
Et, fier de me devoir une si belle proie,
Ma colère fera la moitié de sa joie.

  1. Éd. G. de Chénier.
  2. Liv. II, élég. 25, v. 9.