Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« La terre est éternellement en mouvement. Chaque chose naît, meurt et se dissout. Cette particule de terre a été du fumier, elle devient un trône, et, qui plus est, un roi. Le monde est une branloire perpétuelle, dit Montaigne (à cette occasion, les conquérants, les bouleversements successifs des invasions, des conquêtes, d’ici, de là…). Les hommes ne font attention à ce roulis perpétuel que quand ils en sont les victimes : il est pourtant toujours. L’homme ne juge les choses que dans le rapport qu’elles ont avec lui. Affecté d’une telle manière, il appelle un accident un bien ; affecté de telle autre manière, il l’appellera un mal. La chose est pourtant la même, et rien n’a changé que lui.

Et si le bien existe, il doit seul exister ! »

Je livre ces pensées hardies à la méditation et à la sentence de chacun, sans commentaire. André Chénier rentrerait ici dans le système de l’optimisme de Pope, s’il faisait intervenir Dieu ; mais comme il s’en abstient absolument, il faut convenir que celle morale va plutôt à l’éthique de Spinosa, de même que sa physiologie corpusculaire allait à la philosophie zoologique de Lamarck.

Le poète se proposait de clore le morceau des sens par le développement de cette idée : « Si quelques générations, quelques peuples, donnent dans un vice ou dans une erreur, cela n’empêche que l’âme et le jugement du genre humain tout entier ne soient portés à la vertu et à la vérité, comme le bois d’un arc,