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Chacune autour de nous s’ouvre ; et de toute part
Nous y pouvons au loin plonger un long regard »

Belle image que celle du philosophe ainsi dans l’ombre, au carrefour du labyrinthe, comprenant tout, immobile. Mais le poète n’est pas immobile longtemps :

« En poursuivant dans toutes les actions humaines les causes que j’y ai assignées, souvent je perds le fil, mais je le retrouve :

Ainsi dans les sentiers d’une forêt naissante
À grands cris élancée, une meute pressante,
Aux vestiges connus dans les zéphyrs errants,
D’un agile chevreuil suit les pas odorants.
L’animal, pour tromper leur course suspendue,
Bondit, s’écarte, fuit, et la trace est perdue.
Furieux, de ses pas cachés dans ces déserts
Leur narine inquiète interroge les airs,
Par qui bientôt frappés de sa trace nouvelle,
Ils volent à grands cris sur sa route fidèle. »

La pensée suivante, pour le ton, fait songer à Pascal : la brusquerie du début nous représente assez bien André en personne, causant :

L’homme juge toujours les choses par les rapports qu’elles ont avec lui. C’est bête. Le jeune homme se perd dans un tas de projets comme s’il devait vivre raille ans. Le vieillard qui a usé la vie est inquiet et triste. Son importune envie ne voudrait pas que la jeunesse l’usât à son tour. Il crie : Tout est vanité ! — Oui, tout est vain sans doute, et celle manie, celle inquiétude, cette fausse philosophie, venue malgré toi lorsque tu ne peux plus remuer, est plus vaine encore que tout le reste. »